Farel

Éditions farel
 

Entretien avec Yohann Tourne – Vive les disputes

Publié le 1 février 2024 à 15:05:46

1. Qu’est-ce qui a motivé l’écriture d’un livre sur les conflits ? Est-ce que c’est une prise de conscience, un événement ?

C’est un livre qui porte davantage sur les disputes car les conflits sont des disputes qui ont mal tourné et cela dépasse mes compétences ! J’ai vécu comme tout le monde des moments relationnels très tendus et cela m’a appris à savoir comment gérer les désaccords, les différences culturelles à la lumière de la Bible. J’ai vu l’utilité d’écrire sur le sujet en discutant avec différentes personnes dans les GBU qui étaient épouvantées par certaines situations dans leur Église. Pour elles, les relations fraternelles devaient être synonymes d’harmonie constante. Au contraire, je leur répondais que les disputes étaient normales et je me suis aperçu que cela les aidait à prendre du recul.

2. Qu’est-ce qui fait que tu as cette vision plutôt positive des conflits ou disputes ?

Parce que je me suis aperçu que parler de ce qu’on pense et ressent est souvent bien moins dangereux que se taire (et ruminer). Avoir de bonnes relations avec les autres ne veut pas dire leur ressembler ou être d’accord avec eux. L’Église est composée de personnes tellement diverses que les désaccords, les étincelles, les disputes sont obligatoires ! Cela est une énorme richesse car nous apprenons à comprendre le point de vue de l’autre, à demander pardon et à pardonner. D’après Matthieu 18, le pardon fraternel est central dans la vie chrétienne. Or, il n’y a pas besoin de pardon s’il n’y a pas de dispute. Et puis l’Église est un organisme vivant, donc je trouve très rassurant qu’il y ait une activité foisonnante en son sein… sinon cela voudrait dire qu’elle est morte !

3. Aurais-tu une anecdote d’un conflit dont l’issue a été positive ?

J’ai des exemples de conflits dont l’issue a été positive… mais après de grandes souffrances. Alors que pour les disputes, j’ai de nombreux exemples qui ont été beaucoup moins douloureux car réglés à temps. Ça commence souvent avec un désaccord qui jette un froid parce qu’il est inattendu et que les protagonistes sont maladroits dans leur manière d’affirmer leur point de vue. Au bout de quelque temps les choses s’arrangent quand on se reparle en s’expliquant de manière à écouter l’autre, à ne pas le blesser et à envisager une suite en s’appuyant sur la foi commune en Jésus. En résumé, pour que l’issue soit positive il faut un amour fraternel sans prise de tête où l’on n’a pas accumulé (trop) de reproches, où l’on ne soupçonne pas de duplicité chez l’autre et où l’on est prêt à faire des efforts dans l’avenir. Cela ressemble d’ailleurs étrangement à la description d’1 Corinthiens 13…

4. Quelle est ton approche par rapport à d’autres livres sur ce même sujet ?

L’approche de mon livre n’est ni psychologique ni théologique même si, bien entendu, la Bible est très présente ! Globalement, ma thèse est qu’il est tout à fait normal que dans l’Église (composée de gens tellement différents) il y ait des problèmes relationnels et que c’est même très bon pour nous, car cela permet à Dieu de nous transformer. Je commence par montrer comment Dieu s’y est pris pour gérer ses difficultés relationnelles avec les humains et l’on peut dire qu’il a été très pragmatique, pédagogue et patient pour faire progresser ses créatures ! Ensuite, j’insiste sur nos exigences relationnelles démesurées et notre besoin d’être plus détendus, de trouver un équilibre entre laxisme et rigorisme, pour vivre ensemble dans l’amour et la vérité. Enfin, j’énumère les différents bienfaits des disputes et les bonnes manières de les gérer pour ne pas qu’elles dégénèrent en conflit.

5. Pour ceux qui traversent un conflit, en ont vécu un récemment, ou ont tendance à fuir le conflit, comment ton livre peut les aider à mieux y faire face ?

Pour éviter les conflits, je pense qu’il faut d’abord arrêter de fantasmer une Église uniforme ou des relations fraternelles en version Bisounours. Cela ne veut pas dire abaisser nos exigences mais plutôt les placer au bon endroit. Accepter que nous soyons tous pécheurs, que nous ayons des caractères très différents et qu’il faudra faire des efforts pour vivre ensemble permet de dédramatiser. Nous n’avons pas à avoir peur d’exprimer notre opinion et d’écouter un avis différent du nôtre, nous devons accepter le fait que nous allons immanquablement blesser et être blessés à cause d’incompréhensions et que nous allons souvent demander pardon et pardonner. C’est la vie normale des disciples de Jésus ! Vouloir l’éviter aboutira soit à des relations pauvres et timorées, où chacun vit sa vie sans trop communiquer, soit aux conflits qu’on voulait justement fuir.

6. Quelles sont tes premières réactions, tes premiers conseils à une personne qui vient te voir pour te faire part d’un conflit relationnel ?

Ma première réaction est de dédramatiser. Vos caractères sont différents, vous ne vous êtes pas compris et vous aviez envie d’avoir raison : c’est tout à fait normal ! Ensuite je rappelle l’obligation de se reparler et de retrouver des relations constructives. Et s’il le faut, je menace : bouder trop longtemps, ne pas se remettre en question, condamner l’autre reflète un endurcissement de cœur. En tant que chrétiens, nous devons laisser le Saint-Esprit changer notre regard et notre manière de réagir afin de vivre conformément à la grâce offerte en Christ.

7. On se dispute beaucoup sur les réseaux sociaux, quel serait ton conseil pour les chrétiens à cet égard (comment réagir…) ?

Les réseaux sont souvent le théâtre d’un drame bien connu des psychologues : on est victime car se sent agressé, donc on riposte et l’on devient bourreau. Ensuite, les choses dérapent en sous-entendus ou en accusations avec l’assistance d’autres intervenants qui croient jouer les sauveurs ! Pour éviter cela, il faut débattre des opinions, des idées, des arguments sans jamais attaquer les personnes. Et comme on est à l’écrit et que le second degré n’est pas perceptible, il faut se relire afin d’éviter d’éventuels double sens, privilégier des formules non violentes comme « je pense que » ou ne pas hésiter à poser des questions de clarification pour que les autres puissent vraiment donner leur avis sans être caricaturés. Tout cela demande de prendre un peu de temps avant de s’exprimer et de bien penser à ses destinataires, bref tout le contraire du défouloir que représentent trop souvent les réseaux !

8. Un dernier mot pour encourager les lecteurs à lire ton livre ?

L’Église est une invention absolument géniale qui reflète le plan que Dieu a pour chacun d’entre nous ! C’est même un modèle de vivre-ensemble dont nos sociétés feraient bien de s’inspirer. Si vous voulez savoir comment Dieu se sert de nos problèmes relationnels pour nous faire grandir et enrichir notre vie, lisez ce livre.

Yohann Tourne, Vive les disputes : Bien gérer nos différends.